La brûlure dans ma
gorge me tire de ma torpeur. Cette sensation je la connais, la soif. Depuis combien de temps suis-je ainsi, dans les vapes ? Je commence à observer
tout ce qui m’entoure afin de prendre des points de repères. Je vois les
flammes rougeoyantes qui m’encerclent. Ainsi ce pathétique roi a compris
comment me tuer. Après des mois de tueries au sein même de son royaume, il se
décide à répliquer avec des armes pouvant m’atteindre. Mais c’est sans compter
ma force surhumaine ! Je m’apprête donc à bondir à travers ce cercle de
feu quand je sens la morsure d’une trentaine de chaines incandescentes qui
entament ma chair. Mes quatre membres en sont recouverts. Tournant la tête, je
m’aperçois que mon cou est prisonnier aussi. Il croit me tenir en laisse comme
un vulgaire chien ?
- Ah, ah, ah, résonne
le rire amer du souverain. Enfin tu reviens à toi ! Qu’est-ce que ça fait
de se retrouver à la place de la victime ?
Je tente de localiser
mon interlocuteur, découvrant le lieu où je me trouve. Je reconnais les
colonnes blanches et les hauts murs de pierre sur lesquels de riches étoffes
colorées sont tendues. Je me trouve dans la salle du trône. Là même où, deux
jours auparavant j’avais vidé la reine de son sang. J’avais profité que son
époux était parti à ma recherche pour la surprendre. Les quelques gardes restés
au château ne m’avaient pas retenu très longtemps. La souveraine était morte de
façon digne, acceptant son sort, elle n’avait pas bougé lorsque je l’enserrai
dans ma mortelle étreinte. Puis je déposai délicatement son corps sans vie sur
le siège de son mari.
- Tu pourras d’ici peu
le demander à ta chère épouse, le provoqué-je sans aucune pitié.
La colère brille dans
les yeux du roi qui s’est rapproché dangereusement du mur de flammes qui nous
sépare.
- Ton arrogance ne te
sauvera pas Homme de glace ! Tu ne sais pas à qui tu as affaire. Tu as
fait la pire erreur de ta très longue existence en t’en prenant à elle.
L’examinant
minutieusement, je remarque sa tenue de combat. Loin de la lourde armure qui
incombe à son rang, le monarque porte un simple uniforme en cuir et de hautes
cuissardes. À sa ceinture se trouve son épée mais aussi un de ces ustensiles
étranges servant à enflammer les flèches qui dépassent de derrière son épaule,
près de son arc. Seul un traqueur dispose de ces attributs.
- Ça y est, tu es fier
de toi chasseur ? Tu as enfin capturé la créature qui terrorise Silnès.
Suis-je le premier que tu as l’honneur de tuer ?
- Qui te parle de te
supprimer ? Je ne te ferai pas ce plaisir, ironise-t-il. Ce serait trop
facile. À la place, je vais t’apprendre ce que c’est de souffrir de la perte de
l’être aimé.
Il se retourne et
invite quelqu’un à s’approcher. N’étant capable d’aucun sentiment pour
quiconque, je ne me sens pas le moins du monde touché par sa menace.
C’est donc avec une
certaine surprise que je vois s’approcher une dizaine d’autres chasseurs. Si le
roi ne veut pas me détruire, il s’en est toutefois donné les moyens. Pourquoi
ne profitent-ils pas de leur supériorité numérique ? Ce serait tellement
simple de me laisser mourir par le feu ou même m’achever par la force. À un
contre douze, j’ai peu d’opportunité de réussite. Que comptent-ils faire de
moi ?
- Tu m’as apporté des
amuse-gueules, comme c’est gentil de ta part, ricané-je pour ne rien laisser
paraître de leur évidente victoire sur moi.
- Ton espèce n’est pas
la seule à avoir des dons particuliers. Nous avons-nous même des avantages que
les autres hommes n’ont pas, ainsi qu’un puissant pouvoir que beaucoup ignore.
- Brr, j’en tremble
d’effroi.
Mes opposants se
positionnent en demi-cercle face à moi. Je commence à douter des intentions du souverain.
Aurait-il finalement menti ?
- Ensemble réunissons
nos énergies afin de jeter une malédiction sur ce monstre et les prochains à
venir pour des siècles et des siècles, ordonne le roi.
- Nos forces et nos
âmes sont vôtres, psalmodient ses confrères.
Qu’est-ce que c’est que
ces âneries ? Ils pensent vraiment ce qu’ils disent ? Par quel
miracle cela marcherait ? Les chasseurs sont des hommes comme les autres,
juste un peu plus doués et forts, rien de plus ! Cette mascarade me fait rire
aux éclats pendant que ces pantins continuent leur rituel.
« À compter de ce jour et à tout jamais,
Ils
ressentiront ce qu’ils ignoraient :
Tout
homme de glace connaitra l’amour
Pour
une humaine, unique et pour toujours.
Nul
autre choix qu’à la tentation céder,
Entrainant
ainsi la mort de l’être aimé
Et
le chagrin de sa perte éprouver.
À
moins qu’il ne trouve la volonté
D’en
faire son immortelle moitié »
Un souffle puissant
balaye la pièce éteignant une partie de ma prison de feu et envoyant les corps
sans vie de ces enchanteurs de pacotille s’écraser violemment contre les murs.
Je tombe à genoux sous l’impact, ravagé par un incendie intérieur qui
m’oppresse à l’emplacement même de mon cœur. Cet organe de vie qui ne s’était
jamais emballé ainsi depuis maintenant une centaine d’année. Hurlant de
douleur, je tire de toutes mes forces sur les liens d’acier qui me retiennent
toujours. Les chaînes cèdent et tombent lourdement à terre. Je suis libre. Sans
plus attendre, j’évite le brasier et fuis le château.
**********
Je me réveille en
sursaut et en sueur, les draps collent à ma peau. Je cherche à tâtons
l’interrupteur de la lampe le long de ma table de chevet. L’actionnant, je suis
agressée par la lumière vive qui me fait refermer rapidement les paupières. Je
m’assois sur le bord de mon lit, me frottant les yeux. Sous ma nuisette en
coton je sens mon cœur battre la chamade. Je fais le vide et me concentre sur
ma respiration afin de faire disparaître les souvenirs de ce mauvais rêve.
Je me focalise sur
quelque chose d’agréable : dans quelques heures ma vie va changer. Un
nouveau départ, un appartement, un projet d’avenir. Il faut que je me rendorme
si je veux être en forme pour mon déménagement ! Je saisis la brochure que
j’ai négligemment oubliée par terre, près de mon lit. Je l’ouvre et la
feuillette, connaissant déjà par cœur chaque photo et chaque description. Je
tourne machinalement les pages lorsque je m’arrête sur une image qui
m’interpelle. Celle d’un monument, le château de mon cauchemar, celui de ma
destination : Silnès !